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Section 5.1 Présentation

L'équation de la tangente au point \((x_0;f(x_0))\) est donnée par

\begin{equation*} y=\text{polynôme de Taylor de degré un au plus en }x_0, \end{equation*}

c'est-à-dire

\begin{equation*} y=f(x_0)+f'(x_0)(x-x_0). \end{equation*}

Comme l'axe des \(x\) a pour équation \(y=0\text{,}\) on obtient l'abscisse de son intersection avec la tangente ci-dessus en résolvant l'équation suivante :

\begin{equation*} \begin{array}{crcl} &f(x_0)+f'(x_0)(x-x_0)&=&0\\ \Leftrightarrow&f'(x_0)(x-x_0)&=&-f(x_0)\\ \Leftrightarrow&x-x_0&=&-\frac{f(x_0)}{f'(x_0)}\\ \Leftrightarrow&x&=&x_0-\frac{f(x_0)}{f'(x_0)}. \end{array} \end{equation*}
Figure 5.1.3. Premier pas de la méthode de Newton-Raphson

Soit \(f(x)=x^2-2\) et \(x_0=2\text{.}\)

On a \(f'(x)=2x\text{,}\) donc \(f'(2)=4\neq 0\) et on peut appliquer le lemme 5.1.1 : l'abscisse \(x_1\) du point d'intersection de l'axe des \(x\) avec la tangente au graphe de \(f\) au point \((2;f(2))=(2;2)\) vaut

\begin{align*} x_1&=2-\frac{f(2)}{f'(2)}\\ &=2-\frac{2}{4}\\ &=\frac{3}{2}. \end{align*}

Il y a deux inégalités à établir. Nous allons utiliser deux fois la formule de Taylor-Lagrange démontrée à l'exercice 5.3.7.

  • En appliquant la formule de Taylor-Lagrange pour \(n=0\) à la fonction \(f\text{,}\) on trouve \(\xi_1\in\;]c;b[\) tel que

    \begin{equation*} f(x_0)=f(c)+f'(\xi_1)(x_0-c). \end{equation*}

    Comme \(f(c)=0\text{,}\) \(f'(\xi_1)>0\) et \(x_0>c\text{,}\) on en déduit que \(f(x_0)>0\text{.}\)

    Comme par ailleurs \(f'(x_0)>0\text{,}\) il en découle que

    \begin{equation*} x_1=x_0-\underbrace{\frac{f(x_0)}{f'(x_0)}}_{\text{positif}}<x_0. \end{equation*}
  • En appliquant la formule de Taylor-Lagrange pour \(n=1\) à la fonction \(f\text{,}\) on trouve \(\xi_2\in\;]c;b[\) tel que

    \begin{equation*} f(c)=f(x_0)+f'(x_0)(c-x_0)+\frac{f''(\xi_2)}{2}(c-x_0)^2. \end{equation*}

    Comme \(f(c)=0\text{,}\) diviser par \(f'(x_0)\) conduit à

    \begin{equation*} 0=\frac{f(x_0)}{f'(x_0)}+c-x_0+\frac{f''(\xi_2)}{2f'(x_0)}(c-x_0)^2, \end{equation*}

    d'où

    \begin{equation*} x_0-\frac{f(x_0)}{f'(x_0)}=c+\frac{f''(\xi_2)}{2f'(x_0)}(c-x_0)^2, \end{equation*}

    soit

    \begin{equation*} x_1=c+\frac{f''(\xi_2)}{2f'(x_0)}(c-x_0)^2. \end{equation*}

    Comme par ailleurs \(f''(\xi_2)>0\text{,}\) \(f'(x_0)>0\) et \((c-x_0)^2>0\text{,}\) on en conclut que

    \begin{equation*} x_1=c+\underbrace{\frac{f''(\xi_2)}{2f'(x_0)}(c-x_0)^2}_{\text{positif}}>c. \end{equation*}

Reprenons la fonction \(f(x)=x^2-2\) et \(x_0=2\text{.}\)

Puisque \(f'(x)=2x\) et \(f''(x)=2\text{,}\) les hypothèses de la proposition 5.1.4 sont satisfaites avec, par exemple, \([c;b]:=[\sqrt{2};3]\text{.}\)

Comme on l'a calculé à l'exemple 5.1.2, on a

\begin{equation*} x_1=x_0-\frac{f(x_0)}{f'(x_0)}=\frac{3}{2}=1{,}5 \end{equation*}

et, comme prévu par la proposition 5.1.4, on a bien

\begin{equation*} c<x_1<x_0 \end{equation*}

car

\begin{equation*} \sqrt{2}=1{,}414\ldots<1{,}5<2. \end{equation*}
Remarque 5.1.6.

En d'autres termes, la proposition 5.1.4 dit qu'on s'est rapproché du zéro \(c\) en passant de \(x_0\) à \(x_1\) : c'est le principe itératif de la méthode de Newton-Raphson.

En itérant la proposition 5.1.4, on voit que la suite \(\{x_n\}\) est bien définie et qu'elle vérifie

\begin{equation*} c<\ldots<x_{n+1}<x_n<\ldots<x_0\le b \end{equation*}

pour tout \(n\geq 0\text{.}\) En particulier, \(\{x_n\}\) est décroissante et minorée par \(c\text{.}\) Par le théorème de la limite monotone, on en déduit que

\begin{equation*} \ell:=\lim_{n\rightarrow+\infty}x_n \end{equation*}

existe et vérifie

\begin{equation*} c\le \ell\le b. \end{equation*}

Il ne reste plus qu'à montrer que \(\ell=c\text{.}\)

Raisonnons par l'absurde et supposons que \(c<\ell\text{.}\) Notons alors que

\begin{equation*} \lim_{n\rightarrow+\infty}x_{n+1}=\lim_{n\rightarrow+\infty}x_n=\ell, \end{equation*}

puis que

\begin{equation*} \lim_{n\rightarrow+\infty}f(x_n)=f(\ell) \end{equation*}

par la continuité de \(f\) en \(\ell\) (qui découle de sa dérivabilité en ce point), et enfin que

\begin{equation*} \lim_{n\rightarrow+\infty}f'(x_n)=f'(\ell)>0 \end{equation*}

par la continuité de \(f'\) en \(\ell\) (qui découle de sa dérivabilité en ce point). En faisant tendre \(n\) vers l'infini dans la relation de récurrence

\begin{equation*} x_{n+1}=x_n-\frac{f(x_n)}{f'(x_n)}, \end{equation*}

on obtient donc

\begin{equation*} \ell=\ell-\frac{f(\ell)}{f'(\ell)}, \end{equation*}

d'où

\begin{equation*} f(\ell)=0. \end{equation*}

Mais par ailleurs, la formule de Taylor-Lagrange pour \(n=0\) (voir exercice 5.3.7) entraîne l'existence de \(\xi\in\;]c;\ell[\) tel que

\begin{equation*} f(\ell)=\cancel{f(c)}+f'(\xi)(\ell-c)>0, \end{equation*}

d'où la contradiction.

Partant de \(x_0=2\text{,}\) nous allons effectuer trois itérations de la méthode de Newton-Raphson pour la fonction \(f(x)=x^2-2\text{,}\) dont on a déjà observé à l'exemple 5.1.5 qu'elle vérifie les hypothèses du théorème 5.1.7 sur l'intervalle \([c;b]:=[\sqrt{2};3]\text{.}\)

Notons que

\begin{equation*} x-\frac{f(x)}{f'(x)}=x-\frac{x^2-2}{2x}=x-\frac{x}{2}+\frac{1}{x}=\frac{x}{2}+\frac{1}{x}. \end{equation*}

On obtient :

\begin{align*} x_0&=2;\\ x_1&=\frac{x_0}{2}+\frac{1}{x_0}=\frac{2}{2}+\frac{1}{2}=\frac{3}{2}=1{,}5;\\ x_2&=\frac{x_1}{2}+\frac{1}{x_1}=\frac{3}{4}+\frac{2}{3}=\frac{17}{12}=1{,}41\overline{6};\\ x_3&=\frac{x_2}{2}+\frac{1}{x_2}=\frac{17}{24}+\frac{12}{17}=\frac{577}{408}=1{,}414\,215\,686\ldots. \end{align*}

Comme \(\sqrt{2}=1{,}414\,213\,562\ldots\text{,}\) trois itérations ont suffi pour obtenir cinq décimales correctes du zéro \(c=\sqrt{2}\) de \(f(x)=x^2-2\text{.}\)

Remarque 5.1.9.

Pour des raisons de symétrie, le théorème 5.1.7 s'étend à toute fonction \(f\) s'annulant en \(c\) qui vérifie essentiellement l'une des hypothèses suivantes :

  1. \(f'\) et \(f''\) sont de même signe à droite de \(c\text{;}\)
  2. \(f'\) et \(f''\) sont de signes contraires à gauche de \(c\text{.}\)

Pourvu que le point de départ soit choisi suffisamment proche de \(c\text{,}\) la méthode de Newton-Raphson permet de construire une suite convergeant vers \(c\text{,}\) de manière strictement décroissante dans le premier cas, et strictement croissante dans le second.

Partant de \(x_0:=-2\text{,}\) effectuons trois itérations de la méthode de Newton-Raphson pour la fonction

\begin{equation*} f(x):=x^2-3 \end{equation*}

qui satisfait les hypothèses du second cas mentionné à la remarque 5.1.9, car \(f'(x)=2x\) et \(f''(x)=2\) sont de signes contraires à gauche du zéro \(c:=-\sqrt{3}\text{.}\)

Comme

\begin{equation*} x-\frac{f(x)}{f'(x)}=x-\frac{x^2-3}{2x}=x-\frac{x}{2}+\frac{3}{2x}=\frac{x}{2}+\frac{3}{2x}, \end{equation*}

on obtient :

\begin{align*} x_0&=-2;\\ x_1&=\frac{x_0}{2}+\frac{3}{2x_0}=-1-\frac{3}{4}=-\frac{7}{4}=-1{,}75;\\ x_2&=\frac{x_1}{2}+\frac{3}{2x_1}=-\frac{7}{8}-\frac{6}{7}=-\frac{97}{56}=-1{,}732\,142\,857\,142\,8\ldots;\\ x_3&=\frac{x_2}{2}+\frac{3}{2x_2}=-\frac{97}{112}-\frac{84}{97}=-\frac{18817}{10864}=-1{,}732\,050\,810\,014\,7\ldots. \end{align*}

Puisque \(-\sqrt{3}=-1{,}732\,050\,807\,568\,8\ldots\text{,}\) trois itérations ont suffi pour obtenir sept décimales correctes du zéro \(-\sqrt{3}\) de \(f(x)=x^2-3\text{.}\)

La méthode de Newton-Raphson semble donc fournir de bonnes approximations lorsqu'on cherche les zéros d'une fonction. Il reste à trouver des hypothèses qui permettent d'en estimer la précision.

  • Voir l'exercice 5.3.8 pour un résultat assez facile à démontrer en partant du théorème 5.1.7 ou de n'importe laquelle de ses versions symétriques.
  • Voir le théorème 5.1.11 ci-après pour une approche légèrement différente et plus condensée.

Pour simplifier, on se contentera des hypothèses indiquées dans l'encadré qui suit : l'hypothèse cruciale est la non-nullité de \(f'(c)\text{.}\)

Méthode de Newton-Raphson : Approcher un zéro en calculant les zéros successifs des tangentes.
  • Objectif : Obtenir des approximations d'un zéro \(c\) de la fonction \(f\text{.}\)
  • Hypothèses : On suppose que la fonction \(f\) est deux fois dérivable et que \(f''\) est continue autour de \(c\text{,}\) ainsi que

    \begin{equation*} f'(c)\neq 0. \end{equation*}
  • Principe : Choisir une valeur initiale \(x_0\) assez proche de \(c\text{,}\) et appliquer la formule de récurrence

    \begin{equation*} x_{n+1}:=x_n-\frac{f(x_n)}{f'(x_n)} \end{equation*}

    autant de fois que désiré.

  • Précision : Le nombre de décimales exactes obtenues via l'approximation de \(c\) par \(x_n\) double grosso modo à chaque itération.
  • Voir aussi : Notes de cours de Jérôme.

L'énoncé et la démontration du théorème suivant sont essentiellement tirés de l'excellent livre Analyse numérique et équations différentielles de Jean-Pierre Demailly, avec l'accord de son auteur.

Nous allons donner ici les grandes lignes d'une démonstration basée sur la considération des fonctions

\begin{equation*} \phi(x):=x-\frac{f(x)}{f'(x)} \end{equation*}

et

\begin{equation*} v(x):=\frac{f(x)}{f'(x)}\cdot e^{-Mx}. \end{equation*}
  1. On observe qu'il suffit de montrer que la fonction vérifie l'inégalité

    \begin{equation*} |\phi(x)-c|\le M|x-c|^2\quad\text{pour tout }x\in[c-r;c+r], \end{equation*}

    le reste de l'énoncé s'en déduisant par récurrence.

  2. Quitte à changer \(f\) en \(-f\text{,}\) on suppose ensuite que \(f'\) est positive sur \([c-r;c+r]\) sans perte de généralité.
  3. On vérifie que la dérivée de \(v\) vaut

    \begin{equation*} v'(t)=e^{-Mt}-\left(\frac{f''(t)}{f'(t)}+M\right)v(t) \end{equation*}

    et on en déduit, grâce à l'hypothèse

    \begin{equation*} -M\le\frac{f''(t)}{f'(t)}\le M\quad\text{pour tout }t\in[c-r;c+r] \end{equation*}

    et au fait que \(f\) et \(f'\text{,}\) donc \(v\text{,}\) sont positives sur \(]c;c+r]\text{,}\) qu'on a

    \begin{equation*} v'(t)\le e^{-Mt}\quad\text{pour tout }t\in[c;c+r]. \end{equation*}
  4. Pour tout \(s\in\;]c;c+r]\text{,}\) l'intégration de l'inégalité précédente entre \(c\) et \(s\) donne

    \begin{equation*} v(s)\le\frac{1}{M}\left(e^{-Mc}-e^{-Ms}\right), \end{equation*}

    d'où

    \begin{equation*} \frac{f(s)}{f'(s)}\le\frac{1}{M}\left(e^{M(s-c)}-1\right) \end{equation*}
  5. Grâce au résultat établi à l'exercice 5.3.14, on déduit du point précédent que

    \begin{equation*} \frac{f(s)}{f'(s)}\le 2(s-c) \end{equation*}

    pour tout \(s\in\;]c;c+r]\text{.}\)

  6. On vérifie que la dérivée de \(\phi\) vaut

    \begin{equation*} \phi'(s)=\frac{f''(s)}{f'(s)}\cdot\frac{f(s)}{f'(s)} \end{equation*}

    pour déduire du point précédent et de l'hypothèse sur \(M\) que

    \begin{align*} |\phi'(s)|&=\frac{|f''(s)|}{|f'(s)|}\cdot\frac{f(s)}{f'(s)}\\ &\le 2M\cdot (s-c) \end{align*}

    pour tout \(s\in\;]c;c+r]\text{.}\)

  7. On vient d'obtenir les inégalités

    \begin{equation*} -2M\cdot(s-c)\le\phi'(s)\le 2M\cdot (s-c) \end{equation*}

    pour tout \(s\in\;]c;c+r]\text{.}\) Il ne reste plus qu'à les intégrer entre \(c\) et \(x\) pour obtenir

    \begin{equation*} -M(x-c)^2\le\phi(x)-c\le M(x-c)^2, \end{equation*}

    i.e.

    \begin{equation*} |\phi(x)-c|\le M(x-c)^2, \end{equation*}

    pour tout \(x\in\;]c;c+r]\text{.}\)

  8. Le cas \(x\in [c-r;c[\) se traite de manière symétrique, et il n'y a rien à prouver pour \(x=c\text{,}\) ce qui achève la démonstration.

Considérons la fonction

\begin{equation*} f(x)=\sin(x)-0{,}5 \end{equation*}

et le point de départ \(x_0=0{,}5\text{,}\) près du zéro

\begin{equation*} c=\frac{\pi}{6}=0{,}523\,598\,775\,598\,298\ldots.\text{.} \end{equation*}

Comme \(f'(x)=\cos(x)\) et \(f''(x)=-\sin(x)\text{,}\) les hypothèses du théorème 5.1.11 sont vérifiées avec

\begin{equation*} r=\frac{\pi}{12}\quad\text{et}\quad M=1. \end{equation*}

Les trois premières itérations de la méthode de Newton donnent

\begin{equation*} \begin{array}{c|c|c|c} n&x_n&|x_n-c|&|x_0-c|^{2^n}\\ \hline 0&0{,}500\,000\,000\,000\,000&0{,}023\,598\,775\,598\,298&0{,}023\,598\,775\,598\,298\\ 1&0{,}523\,444\,473\,818\,484&0{,}000\,154\,301\,779\,814&0{,}000\,556\,902\,209\,738\\ 2&0{,}523\,598\,768\,727\,057&0{,}000\,000\,006\,871\,240&0{,}000\,000\,310\,140\,071\\ 3&0{,}523\,598\,775\,598\,298&0{,}000\,000\,000\,000\,000&0{,}000\,000\,000\,000\,096 \end{array} \end{equation*}

et l'on observe bien la progression du nombre de décimales exactes attendue.